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Nous allons plonger dans un sujet fascinant : l’histoire de l’écriture arabe. D’où vient l’alphabet arabe ? Comment a-t-il évolué au fil des siècles ? Et quelles grandes périodes ont façonné cette écriture unique ? Ensemble, nous allons explorer les origines, l’évolution et les secrets de cette écriture, devenue l’une des plus influentes au monde, notamment avec l’avènement de l’islam.
L’origine de l’écriture arabe
Le proto-arabe et l’arabe épigraphique antéislamique
Pour comprendre l’écriture arabe actuelle, remontons à ses origines : les premières formes d’écriture connues sous le nom de proto-arabe.
Ces inscriptions, dont on trouve encore des traces aujourd’hui, marquent l’émergence des premiers alphabets liés à la langue arabe. En tant que langue sémitique, l’écriture arabe est une évolution de l’alphabet araméen, qui a donné naissance à plusieurs alphabets, dont le syriaque et le nabatéen. C’est de ce dernier que l’alphabet arabe dérive, se développant à partir du IVe siècle de l’ère courante.
Dans l’arabe épigraphique antéislamique, les lettres étaient globalement similaires, mais différaient dans leur forme et leur organisation par rapport à l’écriture actuelle. Les lettres étaient souvent angulaires et isolées, sans les liaisons entre caractères que nous connaissons aujourd’hui dans l’écriture arabe. Ces différences marquent une transition entre une écriture encore rigide et non standardisée et l’alphabet actuel, plus fluide et structuré, adapté pour retranscrire des textes de manière harmonieuse et continue.
Exemples d’inscriptions proto-arabes et arabes antéislamiques
- L’inscription de Namara (328 de notre ère, en Syrie) : Cette inscription funéraire est l’un des exemples les plus anciens d’une écriture proche de l’arabe moderne, bien que rudimentaire. Elle montre que l’écriture arabe était déjà utilisée à cette époque, en conservant certaines caractéristiques influencées par les alphabets voisins, tels que le nabatéen.
- L’inscription de Zabad (512 de notre ère, également en Syrie) : Datée du Ve siècle, elle représente l’une des premières traces de l’alphabet arabe tel qu’il se développera par la suite. On y voit encore l’influence de l’écriture nabatéenne, mais elle contient les bases de ce qui deviendra la forme arabe moderne.
Ces inscriptions, avec leurs lettres angulaires et leurs formes distinctes, marquent une étape importante dans l’évolution vers l’écriture arabe actuelle. Au fil du temps, l’écriture arabe adoptera des formes plus fluides et continues, parfaitement adaptées pour retranscrire des textes dans une structure et une harmonie visuelle qui caractérisent cette langue
Le rôle de l’islam et l’expansion de l’écriture arabe
Avant l’islam, les compétences d’écriture étaient rares. De ce fait, l’écriture arabe restait peu répandue et la langue arabe se transmettait surtout de manière orale. Les écrits étaient surtout utilisés pour des inscriptions sur des supports comme des pierres, des objets ou les célèbres poèmes nommés “Al mou’allaqat” .
Avec la révélation du Coran, l’écriture arabe connaitt une expansion majeure. Elle devient cruciale pour transcrire les paroles sacrées et diffuser les messages religieux et plus tard, elle contribuera à structurer les lois, décrets,… On retrouve d’ailleurs des trace de l’écriture dans la sirat du Prophète Mohammed (que la paix et la bénédiction d’Allah soient sur lui) lors de ses correspondances avec les dirigeants de l’époque qu’il appela à l’islam ou encore lors du traité de paix de Houdaybiya entre le Prophète (que la paix et la bénédiction d’Allah soient sur lui) et les habitants de La Mecque avant la prise de celle-ci.
Les premières évolutions de l’alphabet arabe : les points diacritiques et la standardisation
La langue arabe est une langue sémitique qui repose principalement sur ses consonnes. À l’origine, l’écriture arabe ne comportait pas de points diacritiques, il n’était pas possible de distinguer deux lettres ayant la même forme.
C’est Abou al-Aswad ad-Du’ali au 7e siècle, qui introduit les premiers points diacritiques pour distinguer les consonnes de forme similaire (exemple : sin/shin ou ha/kha/djim). Cependant, la distinction entre les voyelles restait compliquée car elle prenait la forme de points supplémentaires placés au-dessus des points diacritiques des consonnes.
Plus tard, le linguiste Al-Khalil ibn Ahmad al Farahidi perfectionna ce système en révisant la formes des voyelles, contribuant ainsi à façonner l’écriture arabe actuelle.
Les grandes périodes de l’histoire de la calligraphie
L’histoire de l’écriture arabe se divise en plusieurs périodes clés, marquées par l’innovation et l’évolution stylistique, chacune ayant contribué à faire de cette écriture un véritable art.
L’époque omeyyade (661–750)
Sous les Omeyyades, l’écriture arabe prend son essor avec les premières grandes inscriptions monumentales, comme celles de la Mosquée de Damas. L’écriture est encore influencée par le style koufique (كوفى), angulaire et géométrique, bien que les lettres commencent à s’affiner et à se simplifier, amorçant l’évolution vers de nouvelles formes plus lisibles.
L’époque abbasside (750–1258)
L’ère abbasside marque une période de perfectionnement. C’est également sous les Abbassides que naît le style Naskh (الخط النسخ), plus cursif et arrondi, permettant une lecture plus aisée. Ce style, initialement utilisé pour les manuscrits quotidiens, devient l’un des plus répandus pour les copies du Coran et les écrits manuscrits. Le célèbre calligraphe Ibn Muqlah pose les bases de la calligraphie arabe avec des règles géométriques précises, assurant uniformité et beauté à l’écriture.
L’époque ottomane (1299–1922)
Les Ottomans ont porté la calligraphie arabe à son sommet, perfectionnant les styles Thuluth (الخط الثلثي) et Diwani (الخط الديواني). Ces styles, utilisés pour les décorations des palais et des mosquées, ainsi que pour les documents officiels, symbolisent la sophistication de la calligraphie arabe. Des calligraphes de renom, comme Sheikh Hamdullah et Hafiz Osman, ont joué un rôle central dans cette évolution, rendant ces styles incontournables dans l’art de la calligraphie.
L’impact de l’imprimerie sur l’écriture arabe
L’islam, dès ses débuts, est une civilisation de l’écrit. Avec l’avènement du papier, les manuscrits en langue arabe se multiplient, et l’écriture devient un outil fondamental de transmission du savoir et de la parole divine. La copie manuscrite des textes religieux et savants a longtemps été privilégiée, car l’écriture arabe, en tant qu’instrument de la parole de Dieu, revêtait un caractère sacré.
Lorsque l’imprimerie à caractères mobiles se développe en Europe au XVe siècle, grâce à Gutenberg, elle transforme le monde de l’écrit. Cependant, l’écriture arabe rencontre plusieurs obstacles à son adaptation. D’abord, elle ne possède pas de majuscules et change de forme selon la position de chaque lettre dans le mot, ce qui rend la mise en page complexe. Ensuite, les détenteurs de savoir et les copistes du monde musulman se montrent réticents, car la tradition manuscrite est fortement ancrée et perçue comme un gage d’authenticité.
Pour des raisons de préservation de la tradition religieuse et de maintien de leur autorité, les théologiens rejettent l’imprimerie. De plus, les copistes, nombreux dans l’Empire ottoman – on en compte 80 000 rien qu’à Istanbul au XVIIe siècle – forment une corporation influente qui n’est pas prête à renoncer à ses revenus. Ainsi, au début du XVIe siècle, les sultans Bayazid II et Sélim Ier interdisent l’impression de textes en arabe dans l’Empire. Cependant, quelques impressions de livres en arabe voient le jour en Europe : le premier Coran imprimé, en 1537, est l’œuvre de Vénitiens, et d’autres textes chrétiens destinés aux communautés orientales sont également publiés en Italie.
Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que des initiatives locales d’impression apparaissent au Moyen-Orient, principalement dans des communautés juives et chrétiennes du Liban et de Syrie. La première typographie créée par et pour des musulmans est celle d’Istanbul en 1728, avec la publication d’un dictionnaire arabe-turc. Toutefois, les ouvrages religieux restent manuscrits.
L’arrivée du XIXe siècle et de la Nahda (« Renaissance arabe ») marque un tournant pour la typographie arabe, notamment au Caire et à Beyrouth, où des presses sont installées et des journaux en langue arabe commencent à être publiés. Ces villes deviennent alors des centres de diffusion des écrits en arabe.
Au début de cette période, certains tentent d’imprimer l’arabe en utilisant des lettres isolées pour former des mots, mais ces efforts ne rencontrent pas un grand succès. L’écriture arabe, en tant que langue liée et fluide, ne se prête pas aux caractères typographiques qui imposent une séparation entre les lettres. Ce qui va freiner la diffusion de livres en langue arabe.
L’écriture arabe dans le numérique et la modernité
Avec l’avènement du numérique, l’écriture arabe connaît un véritable renouveau. Les nouvelles technologies permettent désormais de reproduire fidèlement ses formes uniques, et l’arabe est devenu omniprésent dans la communication numérique, aussi bien en arabe littéraire qu’en arabe dialectal. Grâce aux smartphones et aux ordinateurs, il est désormais facile d’utiliser l’alphabet arabe pour tous types d’échanges, offrant ainsi une grande flexibilité dans les usages contemporains de la langue.
Au début de l’ère de la téléphonie mobile et de l’informatique, l’absence de claviers arabes poussait de nombreux utilisateurs à écrire en caractères latins phonétiques pour représenter les sons arabes. Cette pratique, bien que pratique à l’époque, entraînait parfois des incompréhensions, car la langue perdait en précision.
Aujourd’hui, l’intégration des claviers arabes dans les smartphones et ordinateurs a redonné à la langue arabe une place essentielle dans les échanges quotidiens, les documents officiels et les sites internet. L’arabe littéraire et les dialectes y sont utilisés de manière bien plus précise qu’à l’époque de la transcription phonétique. Cette évolution facilite désormais une communication plus claire et fidèle aux subtilités de la langue.